* Le chant plastique est une pratique vocale et visuelle expérimentale située entre le cri et le chant. Cette pratique vocale expérimentale tente de relier différents domaines, tels que le chant lyrique, le rock, le chamanisme, l'animalité et le burlesque. C'est par lui que je tente d'exprimer le « corps interne ».
* Le corps interne ne se limite pas au corps organique. Il se comprend d'abord comme une boule d'énergie en perpétuel mouvement, un trop plein, un corps pulsionnel et obscur. Insaisissable, il reste hypothétique. Le chant plastique pourrait cependant l'exprimer en le rendant manifeste, en lui donnant une « visibilité auditive ».
* Voir mon livre « Expressions du corps interne. La voix, la performance et le chant plastique »
Le cri du coeur
3'40'', 2001. Couleur, son. Extraits 30''
Le titre de cette performance vocale prend l'expression « le cri du c½ur » à la lettre: le spectateur voit à l'écran un c½ur géant en train de crier. Par ces cris, je tente d'exprimer le « corps interne », qui est ici symbolisé par mon costume en c½ur. La maîtrise de mes cris - qui n'est jamais totale - est rendue possible par le travail vocal que j'effectue en chant lyrique. La vision saugrenue d'un organe qui crie est une redondance voulue, jubilatoire, une doublure du son, un clin d'½il au monde du spectacle, celui des illusions.
Le cri de l'âne
2'44'', 2001. Couleur, son. Extrait 24''
L'éclairage par spot rouge donne à cette vidéo-performance un aspect hallucinatoire, qui rappelle les éclairages des concerts rock. J'enchaîne des séquences de cris, au cours desquelles je cherche à exploiter les extrêmes de ma voix, allant de sons gutturaux graves et caverneux à des couinements suraigus, en passant par des cris impulsifs dans le médium. D'abord animée par la volonté de parodier les concerts punks des années quatre-vingts - la crinière étant à double sens (crête punk, crinière d'âne) -, je me laisse porter par l'animalité des cris et la vocifération jusqu'à paraître en état second. Je simule la transe chamanique, la frôle sans jamais y entrer. Jusqu'où peut-on simuler sans se prendre au jeu : être âne ?
A coup (chement)
3'35'',2002. Extrait 38''
Cette mise en image de la voix, dans ma performance « A coup (chement) », a été effectuée par Isabelle Blanche, artiste plasticienne réalisant des films Super 8. Cette performance vocale a été produite en réaction à cette caméra qui me filmait au plus près. Elle a pris la forme d'une improvisation vocale sur le thème de l'accouchement, qui n'est pas pris ici au sens médical (parturition) mais au sens général d'expulsion du corps. Je me suis donné comme contrainte de produire une expression vocale inspirée des sons caverneux et énigmatiques que les chamanes émettent lors de leur danse. N'accouchent-ils pas des esprits ? Cette sorte de transe vocale demande un important engagement physique, par lequel j'oublie la caméra, trop occupée à faire sortir de moi un corps étranger.
Le boxeur chantant
2'40'', 2002. Couleur, son. Extraits 42''
Cette ½uvre a spécialement été créée pour une soirée vidéo à Glazart dont le thème était « Retrouvez son singe ». A travers elle, je mets en évidence, de manière caricaturale, les caractéristiques des deux chants que je pratique : le chant plastique (pratique vocale et visuelle entre le cri et le chant, sans utilisation des mots) et le chant lyrique. Cette performance où je suis déguisée en boxeuse se divise en deux parties. Je me déplace en sautillant, courbée, dans une attitude à mi-chemin entre celle d'un singe et d'un boxeur qui se chauffe avant le combat, et produis quelques sons vocaux bruts, dans une tessiture grave. Soudain un roulement de tambour se fait entendre. Je me redresse et me lance dans une improvisation lyrique. Le décalage entre la voix lyrique et l'habit de boxeur plonge la scène dans le burlesque.
Le cheval d'Artaud
6'53'', 2003. Noir et blanc, son. Extraits 41''
Cette performance s'appuie sur un poème d'Antonin Artaud, « Tutuguri, Le rite du soleil noir » (in Pour en finir avec le jugement de dieu), dont la lecture par Maria Casarès (enregistrée en 1948) est restée mémorable. Sa voix grave et légèrement tremblante conférait une tonalité incantatoire à ce texte énigmatique, où il est question d'un « septième homme [qui] est un cheval ». Je propose une version physique du poème d'Artaud d'où la parole est évacuée. Déguisée en femme-cheval, j'entends par une oreillette le poème lu par Maria Casarès. La performance consiste à reproduire ce que j'entends en oubliant les mots : je rends compte de la « musique » de ce texte lu. Cette vidéo-performance est en noir et blanc. En bas de l'écran, le poème d'Artaud défile, tel un sous-titre, au rythme de ma récitation sans mots. La voix séparée du texte devient une matière pulsionnelle et déclamatoire qui rappelle le « cri organique » d'Artaud. La deuxième partie consiste en une simulation de transe chamanique. Libre de tout texte, je m'emporte dans une action instinctive, en produisant des sortes de hennissements extrêmes. Le cheval lui-même renvoie à la transe ou la possession : ne dit-on pas que le possédé est chevauché par l'esprit ?
Hommage à Joseph Beuys
5'35'', 2004. Couleur, son. Extrait 26''
La lumière verte confère à la scène un caractère hallucinant. Torse nu et un casque en peaux de lapin sur la tête, je fixe la caméra et tiens dans mes paumes un écorché de lapin en cire d'abeille. Me laissant envahir par sa présence et son odeur, je respire profondément et produis de petits cris aigus. Hommage à Joseph Beuys dégage un caractère grave et cérémoniel, ceci pour rendre hommage à un artiste-chamane qui pensait devoir remplir une mission, celle de nous « raccorder à l'animalité perdue ». La vidéo reste silencieuse, clin d'½il au cinéma expressionniste dont elle garde certains codes esthétiques, comme mon expression faciale exagérée. Le silence permet aussi de visualiser l'action physique qui amène à produire ces cris.
Le chant magnétique
18'35'', 2011. Couleur, son (filmée par Philippe Gibert). Extraits 2'
Circulant seule dans le Musée Paul Belmondo un jour de fermeture, je m'arrête devant certaines sculptures, je les touche avec mes mains pour entrer en résonance avec elles - comme par magnétisme -, et ce contact m'inspire une improvisation vocale non articulée. Ce « chant magnétique », né au contact physique de la sculpture, vise à rendre compte de ce que l'½uvre dégage pour soi, de cette sensation première et singulière difficilement explicable.
J'essaie de plonger dans l'espace interne de la sculpture, ou bien plutôt de la figure qu'elle représente. Mes ondes vocales animeraient alors cette figure inanimée. Fantasme démiurgique de rendre vivante une création faite de main d'homme, ou tentative poétique, rendue possible dans l'effectuation artistique qui échappe aux contraintes du rationnel, de faire parler l'½uvre ?
Extrait de l'introduction de Corps et immersion (L'Harmattan, 2012) par Catherine Bouko et Steven Bernas : « Un corps à corps se produit entre la sculpture et l'artiste qui s'immerge dans la matière par des processus mentaux et sensibles. C'est ce qu'elle nomme "le charme intelligible" dégagé par l'½uvre qui l'attire et la fascine. (...) Hélène Singer aborde l'espace interstitiel et décrit l'idée selon laquelle le son participe au processus d'immersion et révèle la voix dans ce qu'elle nomme un "espace retentissant" ».
La grande Sirène et la Sardine égarée
5'15'', 2012. Couleur, son. Extrait 1'50''
Performance d'Hélène Singer (chant) et Sarah Roshem (geste). Prise de vue et réalisation Philippe Jubard. Création Institut ACTE (CNRS/Paris 1).
Hélène Singer et Sarah Roshem s'associent dans cette performance expérimentale, sonore et théâtrale, qui s'élabore autour d'une partition basée sur dix chants associés à dix mouvements. Hélène Singer utilise sa voix - alternant sirène mélodieuse et sirène d'alarme - pour guider les pas de Sarah Roshem - avançant à l'aveugle - des pare-battages aux pieds et aux mains.
Chacune des performeuses va à la rencontre de l'autre, selon son rôle et son champ d'action. Le lien qui se tend entre elles est physique et affectif : la voix de la Sirène alterne les registres vocaux et les mouvements du corps de la Sardine s'accommodent aux changements, chacune évoluant dans une expression sensible et émotionnelle partagée.
Faire vrai et laisser dire (Comment expliquer l'Olympia à un lièvre naturalisé)
3'39'', 2013. Couleur, son. Extrait 41''
Voix off : Frédéric Bourreau / Caméra : Séverine Grange.
Il s'agit d'une réinterprétation de la performance de Joseph Beuys Comment expliquer les tableaux à un lièvre mort ? (1965). Cette création est une mise en abîme de références et un jeu de dialogues multiples. Sous forme de badinerie, elle est une réponse sérieuse à la question posée par Beuys. L'authenticité de l'½uvre « rejouée » est ici traitée de manière décalée.
"Plan fixe de moi en « position Olympia », un lièvre naturalisé à mes côtés (à la place du chat), en musique de fond la Suite n° 2 en Si m « Badinerie » de J.S Bach. Une voix grave d'homme prononce de temps en temps : « Mach was Wahres und lass die anderen reden » (formule de Manet : « Faire vrai et laisser dire » mise à l'impératif et traduite en allemand). Dès que la voix se fait entendre, j'expose au lièvre ma méthode pédagogique d'insertion picturale."